Une dissertation sur Colette

Célébration du monde et amour de soi dans Sido et Les Vrilles de la vigne


Cette dissertation a quatre mains a été pensée et rédigée avec une élève de première.


Sujet de la dissertation

  ​Nicole Ferrier-Caverivière, spécialiste des romans de Colette, affirme à propos de ses récits autobiographiques : 

​“Colette élit les détails qui lui permettent de recréer l'univers magique et féérique dans lequel elle retrouve « le secret perdu qui ouvrait un monde dont elle a cessé d'être digne » [...]. Amour de son enfance, amour de l'enfance, amour de la nature et des bêtes ? Nous apporterons la même réponse que Claude Pichois à la question: « Amour filial ? ». « Non. Amour de soi-même. »”.
Vous direz en quoi cette phrase éclaire votre lecture de Sido et Des Vrilles de la Vigne, en illustrant votre réflexion d'exemples précis tirés de ces deux œuvres, et de votre culture. 


Dissertation 

Les Vrilles de la vigne et Sido sont des récits autobiographiques écrits par Colette en 1908 et 1930. Ainsi, à deux moments bien distincts de sa vie d’auteure, Colette s’est replongée dans ces souvenirs enfantins pour y retrouver un monde passé. À ce sujet, Nicole Ferrier-Caverivière affirme : “Colette élit les détails qui lui permettent de recréer l'univers magique et féérique dans lequel elle retrouve « le secret perdu qui ouvrait un monde dont elle a cessé d'être digne » [...]. Amour de son enfance, amour de l'enfance, amour de la nature et des bêtes ? Nous apporterons la même réponse que Claude Pichois à la question: « Amour filial ? ». « Non. Amour de soi-même. »”. Sido et Les Vrilles de la vigne sont bien des récits nostalgiques écrits pour retrouver un paradis perdu. Mais il y aurait, au cœur de ce retour à un monde passé, une tension dans la vie de Colette entre la pureté et l’impureté. Le 'moi' de l’écrivaine au présent serait corrompu alors que celui de l’enfant, a encore accès à ce paradis perdu de l’enfance. Cela expliquerait cette obsession du retour dans le passé chez Colette. Mais l’universitaire ajoute, avec l’appui de Claude Pichois, que l’amour qui inspire l’écriture de Colette, c’est l’amour de soi-même. Ce ne serait donc pas une célébration du monde et de son entourage qui a lieu dans Sido et Les Vrilles de la vigne : Ce serait avant tout une célébration de soi-même. L’écriture de soi y procèderait donc d’un amour-propre. Pourtant, les deux œuvres tournent leur regard vers les autres et vers le monde. Elles semblent même montrer beaucoup d’admiration et d’amour pour les choses extérieures à Colette. Ainsi, elle pourrait être au centre des ouvrages en tant que simple observatrice du monde extérieure, mais elle pourrait aussi y être présente comme le premier sujet de ses récits d’enfance et l’objet d’un amour-propre créateur.

         Dès lors, dans Sido et Les Vrilles de la vigne, la célébration du monde par Colette est-elle vraiment guidée par l’amour de soi ?

  ​Certes, les récits de Colette sont incontestablement animés par le plaisir de se raconter et de s’observer soi-même, au point que l’enfant qui est au centre du récit y apparaisse comme narcissique. Toutefois, ce retour dans le passé est indéniablement animé par d’autres amours, comme ceux que la narratrice porte aux autres, à sa mère, au monde naturel. Mais finalement, qu’il porte sur le monde ou sur son propre reflet, l’amour qui domine l’écriture de Colette est un amour du souvenir, un amour de la mémoire en action.

 

Un grand amour de soi influence le roman et les nouvelles de Colette. Son écriture vient en effet du plaisir qu’elle trouve à se décrire enfant, et la célébration qui s'y déploie est celle d'un moi égocentrique. Sido et Les Vrilles de la vigne ont pour objet de rapporter ce que Colette a vécu et vu, son expérience d’enfant. C'est le propre de l'écriture autobiographique et l’intention qui la guide est bien de se raconter soi-même. C’est pourquoi elle se place elle-même au centre de son écriture, comme le point de convergence des récits. Cet égocentrisme est tout à fait assumé par la narration : "il importe seulement que je dénude et hisse au jour ce que l’œil humain n’a pas, avant le mien, touché". Ce passage de Sido, assume bien la place centrale qu'occupe la petite Colette. Ce qui lui importe dans le récit de son enfance est ce qu'il s'y trouve d'unique, d'original. Or, elle est bien originale et admirable cette enfant éprise de liberté, à la personnalité si ferme. cette personnalité est justement le cœur du récit et la clé pour retrouver "le secret perdu" qui ouvrait "l'univers magique" de ses jeunes années. 

      ​  L'expression par la narratrice de son amour de sa personnalité enfantine est foisonnante dans le roman. Elle a souvent exprimé son admiration pour elle-même et sa beauté. Face à Claudine, ce sosie qu'elle invente et met en scène dans "Le Miroir", une des nouvelles des Vrilles de la vigne, elle s'exclame : "Ah ! que vous m’auriez aimée, quand j’avais douze ans, et comme je me regrette !". Cette adresse au lecteur témoigne d'une conscience de soi poussée à l'extrême, au sein d'un passage où le dispositif de l'écriture autobiographique est mis en abyme. À travers l'expérience du double à laquelle invite le regard prolongé dans un miroir, Colette dit à la fois une nostalgie pour sa jeunesse et sa beauté passée et l'émerveillement que cette jeunesse lui inspire. Les regrets et l'enthousiasme se confondent alors : regret de n'avoir plus accès à cet univers "féérique" et enthousiasme du retour à une image embellie de soi-même. Quoi qu'il en soit, une lecture des deux œuvres comme des récits narcissiques est autorisée par la profusion des images de sa beauté, de sa vivacité. 

      ​Mais l'amour de Colette pour elle-même se montre plus intense encore quand le lecteur décèle, au fur et à mesure de sa lecture, les signes de l'équivalence - de la fusion - qui s'installent entre l'auteure, la narratrice et son personnage. Le trouble autobiographique grandit dans cet amour de soi parce que le moi du passé n'est pas seulement pour Colette une manière de mieux se comprendre au présent : C'est un jeu sur soi-même qui influence son identité, qui ne se contente pas de l'interroger mais l'influence. Dans "Le Miroir", Colette écrit : "Tout cela, c’est moi enfant et moi à présent…" avant d'ajouter : "je n'ai jamais changé". Ses souvenirs d'enfance informent sa personnalité actuelle et son passé est un reflet d'elle-même. Ainsi, l'admiration qu'elle se porte donne lieu à une tendresse au présent, un amour actuel. Dans une autre nouvelle des Vrilles de la vigne, "Rêverie du nouvel an" elle se décrit comme "une enfant très aimée [...] qui vivait à la campagne parmi des arbres et des livres, et qui n’a pas connu ni souhaité les jouets coûteux". Il y a là plus qu'un simple remarque concernant le personnalité de la petite Colette car un éloge se joue en creux des détails que choisit Colette pour se dépeindre. La vie à la campagne, cette existence frugale de "sauvageonne" porte un ensemble de valeurs que Colette chérit encore. La pureté qu'elle aime chez elle est ce qui l'incite à ne pas désirer les jouets coûteux. L'enfance de Colette n'a pas seulement façonné la Colette actuelle : elle représente une pureté que l'auteure n'a pas perdue car elle la retrouve en plongeant son regard dans le miroir de l'autobiographie. 


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​Toutefois, il serait réducteur de voir dans les récits autobiographiques des célébrations de l'auteure par elle-même. On y risquerait même de rater ce qui fait la sève de ses histoires, de ses descriptions et de ces souvenirs : un grand amour de ce qui vit.

​En réalité, l'amour de Colette se porte à plusieurs reprises vers autre chose qu'elle-même, d'autres éléments du monde de son enfance, à commencer par sa mère. Sido, roman nommé d'après le surnom de sa mère, exprime souvent un amour profond pour celle-ci et sa gratitude pour les goûts qu'elle lui a donnés. Lorsque Colette écrit : "Ma mère [...] tenait pour naturel, voire obligatoire, d’enfanter des miracles", ce n'est pas pour sous-entendre qu'elle est elle-même un miracle, puisque fille de sa mère. Cette phrase dit en fait, toute la grandeur de sa mère comme créatrice toute-puissante. Colette admire la force et la détermination de sa mère, qui a élevé six enfants tout en travaillant dur et en montrant une sensibilité alerte à la beauté de la nature. Elle reconnaît également le sacrifice que sa mère a fait pour sa famille. Dans un autre passage de Sido, Colette écrit : "Mon imagination, mon orgueil enfantin situent notre maison au centre d’une rose de jardins, de vents, de rayons, dont aucun secteur n'échappe tout à fait à l’influence de ma mère." Sido est bien le centre de l'enfance de Colette. Elle est la maitresse d'un roman qui chante l'influence d'une mère sur soi, sur les siens et sur le monde. 

​Dans Les Vrilles de la Vigne, les témoignage d'amour pour la nature et tous ses éléments sont foisonnants. Elle dit notamment cette admiration lorsque Claudine, s'adressant à Annie, y voit une camarade animée par "le même goût passionné pour tout ce qui respire à l’air libre et loin de l’homme", puis elle continue cet éloge aux accents misanthropiques avec une énumération ternaire au rythme ascendant, puisque les éléments successifs comptent chaque fois plus de syllabes : "fleur, animal peureux et doux, eau furtive des sources inutiles". La beauté d'un vivant fragile et discret y est dite avec solennité et finesse, d'une manière caractéristique de l'écriture d'une auteure que l'on ne saurait accuser de narcissisme. Elle apprécie la vie en dehors de la ville et valorise la nature pour ses bienfaits. Dans ses écrits, Colette encourage d'ailleurs le lecteur à sortir de chez-soi, de sa pure vie intérieur pour être attentif au monde naturel qui les entoure.

​Il peut se dégager des deux œuvres un certain dégoût des autres, en particulier des citadins. Certes, la "sauvageonne" que décrit Colette n'a que peu d'amour pour ses cousins venus de la ville, mal à l'aise à la campagne. Mais ce dégoût n'est pas une manière de se mettre elle-même en valeur, C'est parce qu'elle exprime son amour pour ceux qui sont en harmonie avec les animaux, en particulier pour les chiens et les chats. ​Elle écrit : "Oui, dans ma vie, il y a eu beaucoup de chiens – mais il y a eu le chat". Elle les considère bien comme des compagnons importants dans sa vie. Elle apprécie leur présence et leur affection, et elle trouve du réconfort en leur compagnie. Dans "Toby chien parle" elle donne même la parole à son animal de compagnie. Elle s'adresse aussi aux chiens qu'elle a connus : "Comment me passerais-je de vous ? Je vous suis si nécessaire… Vous me faites sentir le prix que je vaux." Ainsi, les chiens soutiennent et valorisent Colette dans une relation où chacun trouve son compte. Elle apprécie leur loyauté et leur amour inconditionnel.


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Il apparait dès lors que les récits d'enfance de Colette que son Sido et Les Vrilles de la vigne, ne semblent pas procéder d'une intention d'écriture motivée par l'amour de soi. Du reste, s'ils donnent des signes d'une admiration, voir d'amour, pour des images de soi passées et recomposées, ils expriment aussi un amour général ressenti envers la nature et envers ceux qui y sont en harmonie. 

​En fait, Ce qui porte le récit chez Colette, c’est l’amour du souvenir. Plus précisément, l’enthousiasme de la mémoire à l’œuvre. On retrouve dans l’écriture les sensations d’un monde magique perdu, mais surtout, on y trouve la joie de pouvoir revenir en arrière. D’abord, l’objet des récits autobiographiques de Colette est une quête de souvenirs fidèles. Elle préfère porter un regard authentique sur elle-même que d’améliorer son passé. Elle affirme ainsi dans Les Vrilles de la vigne : “Je me souviens de moi avec une netteté, une mélancolie qui ne m’abusent point.”. Elle ne se trompe pas et elle n’est pas aveuglée par l’amour qu’elle porterait pour elle-même. En suivant cette déclaration, le lecteur est invité à revivre des éléments de la mémoire de Colette telle qu’elle les a vécus enfant. 

​Dans Les Vrilles de la Vigne, Colette exprime sa volonté de partager ses impressions, ses sensations et ses émotions avec les autres. Elle écrit : "Je voudrais dire, dire, dire tout ce que je sais, tout ce que je pense, tout ce que je devine, tout ce qui m'enchante, me blesse et m’étonne." Ce voeux est un credo, voir une poétique, pour une romancière qui cherche, par l'écriture, non pas à se dire simplement soi, mais à dire un monde qui lui est propre. Son intention poétique, celle qui insuffle à ses récits leur force célébratrice, consiste à partager des expériences profondément vitales. Les expériences vécues sont en effet rendues fondamentales et signifiantes pour le lecteur, parce que Colette y ouvre le monde de son enfance. Mais elle ne le fait pas dans un simple mouvement nostalgique qui resterait opaque ou froid au lecteur : elle prend soin d'y faire sentir avec clarté, les sensations revécues par le souvenir. 

Finalement, ​Colette exprime son amour de l'évasion et son désir de s'échapper de la vie quotidienne jusqu'à y entrevoir une sortie de soi. Sans doute, Colette trouve dans l'écriture un moyen de s'évader et de se libérer d'entraves présentes. Elle trouve du réconfort en créant des mondes imaginaires, en régnant, comme sa mère le faisait, sur un monde dont on pourrait dire avec Nicole Ferrier-Caverivière "elle a cessé d'être digne". D'ailleurs, elle occupe bel est bien, dans ce monde recréé, parfois à sa fantaisie, de beaux rôles. "Vous n’imaginez pas quelle reine de la terre j’étais à douze ans", dit-elle en s'adressant au lecteur. Si le moi de l'auteure figure parfois en majesté dans ses œuvres, c'est justement pour mieux se libérer de soi, par une forme de fantaisie de triomphe, de parcours victorieux et de son enfance. Elle se souvient de son enfance et de son désir d'échapper à la vie ordinaire. En fait, la jeune Colette vit une série d'entraves extérieures et de libérations successives qu'elle doit à elle seule.  Le passage qui donne son titre au recueil de nouvelle peut éclairer à ce titre le lecteur : “Les vrilles d’une vigne amère m’avaient liée, tandis que dans mon printemps je dormais d’un somme heureux et sans défiance. Mais j’ai rompu, d’un sursaut effrayé, tous ces fils tors qui déjà tenaient à ma chair, et j’ai fui… ”. C'est bien une fuite, une évasion qui donne un partie de son sens à l'écriture de soi par Colette. Il est vrai que cette libération est gagnée par le "je" lui-même, sur les autres. En l'occurrence la vrille de la vigne peut être interprétée comme une métaphore de l'autorité maternelle dont il importerait de s'échapper. Cela autorise bien une lecture du personnage de Colette comme héroïne, dans les deux principaux sens du terme, de son roman. Mais, aucun surplus d'amour-propre, aucun narcissisme n'entrave dans Sido et Les Vrilles de la vigne, la célebration du monde qui y est à l'œuvre. ​

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​​Bien que le récit autobiographique de Colette soit celui d'une jeune fille admirable, il est également porté par son amour filial, son amour de la nature et de l'enfance. Ce qui guide le récit, c'est l'amour du souvenir, l'amour de la mémoire à l'œuvre, et la recherche de sensations libératrice contenue dans un monde perdu. Le je de l'écrivaine y est non seulement transposé dans un passé où la fantaisie peut se déployer librement, mais il n'y est pas non plus l'objet d'un amour qui éclipserait celui du monde extérieur, des autres et de la nature. Au contraire, cette jeune fille célébrée que réinvente Colette à travers son identité passée est le support idéal de célébration du monde. 

 

 
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